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02 mai 2017

Travailler le mental.

Düsseldorf, dimanche 30 avril, 7h20. Je n’en peux plus d’attendre. J’avais prévu de partir à 7h45, mais l’envie est plus forte. J’y vais. Le temps est un peu frais, mais la météo sera bonne pour la course, aux alentours de 9° vers 9h00.

Je suis confiant. C’est mon 10ème marathon, il n’y a pas de raison que cela se passe mal !

La préparation s’est très bien passée, le volume est bon (815,95Km sur 10 semaines), le mental est là et d’un point de vue équipement rien n’a été laissé au hasard : j’ai préféré un short un peu plus ample pour ne pas être gêné et j’ai investi dans une nouvelle paire de chaussures qui n’ont que très peu de kilomètres. De plus, la séance d’ostéopathie réalisée la semaine passée s’est bien déroulée, RAS de ce côté-là. Tous les voyants sont au vert.

Si je devais symboliser le marathon je dirais que c’est une montagne. Une montagne qui se dresserait devant moi, et que je regarderais d’en bas. Et d’où je me dirais OK je dois l’escalader le plus rapidement possible !

Je sais que je vais y arriver. Un an que je n’ai pas couru de marathon (depuis le marathon de Rotterdam le 10 avril 2016). Une année durant laquelle avec DD nous avons travaillé la vitesse, le 10Km, le fractionné. Je vais terminer le marathon. Aucun doute là-dessus. Je vais le finir en moins de 3h00. Aucun doute non plus. Moins de 2h45 (il s’agit pour moi d’une barre symbolique car synonyme de qualification aux Championnats de France). Aucun doute non plus depuis le marathon de Rotterdam terminé dans la douleur en 2h44m40s.

J’ai reconnu le chemin pour aller au dépose-bagages la veille avec Théodore. Il se trouve entre le départ et l’arrivée. En traversant à un feu j’entends deux personnes discuter derrière moi Tu as vu ? Oui, j’ai vu, un Français. Je savais qu’ils faisaient référence à mon sac à dos, qui m’accompagne sur toutes mes courses depuis le marathon de Chicago, en octobre 2012, et sur lequel est accrochée une médaille avec un ruban bleu-blanc-rouge, médaille qui m’avait été donnée par Aline lors d’une soirée du club en janvier 2014.

J’arrive au dépose-bagages où se trouve également une tente pour se changer. Je me pose et observe les autres coureurs. A ce moment, je repense au compte-rendu de course écrit par Laurent qui a couru son premier marathon à Paris, 3 semaines plus tôt : chaque coureur a ses petites manies ; la façon de positionner les gels sur la ceinture, le laçage des chaussures…

Je pense qu’il va faire chaud et soudainement je pense à la crème solaire. Je n’en ai pas. Un coup de téléphone et un SMS à Théodore pour qu’il m’en amène s’il en a. Sinon tant pis.

Allez, je me change. Je ne garde qu’un t-shirt au-dessus de mon marcel que je jetterai au moment du départ et une bouteille d’eau. Le strict minimum

Je me dirige vers le départ après un rapide passage aux toilettes. Je repense à notre sujet de conversation à table la veille, le caca de la peur, un syndrome bien connu de tout coureur de course de fond.

8h20. Le départ est dans 40 minutes, il est temps de s’échauffer. Après quelques minutes de footing en effectuant des allers-retours entre le départ et le premier kilomètre, je réalise des gammes et des étirements. Je croise quelques coureurs dont le gabarit et l’allure me font penser à a des coureurs élite. Le départ approche, la pression monte.

Je rentre dans le sas rouge, celui des 2h29-2h59, juste derrière le sas élite. Nous ne sommes pas nombreux et je peux continuer à m’échauffer sur place. J’aperçois Théodore sur la droite de l’autre côté des barrières. On échange quelques mots et me place. Je suis bien. Je suis serein. Le speaker fait applaudir Julian Flügel, coureur élite natif de Düsseldorf qui est là comme outsider pour la gagne. Le compte à rebours commence et ne parlant pas allemand (hormis compter jusqu’à 3), je me dis Dès que tu entends drei (trois en allemand), tu te prépares !

C’est le départ ! Comme à chaque course, l’allure est très rapide, j’observe les pace qui se positionne avec leur athlète comme ombre. 3’32’’ le premier kilomètre. Rien d’alarmant, il faut seulement que je revienne à mon allure cible (entre 3’43’’ et 3’45’’) pour ne pas me cramer.

La file de coureurs s’allonge. Je dois être entre la 25ème et la 30ème position. Soudain un coureur sur ma gauche me demande mon allure et le temps espéré : 3’45’’ per kilometer so 2h38. Je lui demande What about you ?  Et il me répond 2h32. Je lui rétorque que l’allure est bien trop rapide pour moi It’s too fast for me ! Je le vois s’éloigner et ne le reverrai plus de la course. Il finira le marathon 11ème en 2h32.

Entre le Km2 et le Km7, je me sens déjà seul. DD m’avait prévenu : En allant à Düsseldorf, vu la densité de coureurs (4 000 coureurs au départ), tu risques d’être seul. Ça risque de ne pas être évident. J’étais conscient de ce risque. Mais j’étais prêt à la prendre.

Je suis rattrapé par deux élites féminines précédées par leur pace respectif, Doroteia Alves Peixoto et Carmen Patricia Martinez Aguilar qui ont des records en 2h36. Elles seront par la suite rejointes par Sara Ramadhani Makera. La bagarre pour la première place féminine se jouera entre elles. Je ne m’affole pas, n’essaie pas de les suivre et me contente de respecter au mieux mon allure. De tête j’essaie de calculer que si elles sont sur une base de 2h36 et moi de 2h38, elles doivent se trouver à environ 600m devant. Elles sont suivies par un van noir de l’organisation avec ses warning que je n’ai pas de mal à voir de loin et qui me sert de point de repère.  

Au Km7, je vois Aline, Guillaume et Théodore qui m’encouragent, je leur fais un rapide signe de la main pour leur dire que tout est OK.

Je passe le Km10 en 36’45’’ ce qui représente une allure moyenne de 3’40’’. C‘est trop rapide. Je devais passer aux alentours de 37’27’’. Je pense à DD mon coach qui au même moment est sur le marathon d’Annecy avec d’autres coureurs du club. Je lui avais donné l’application à télécharger pour me suivre en direct via le live tracking. Je l’imagine, voyant mon temps de passage en se disant Merde, il va trop vite ! Cela me fait sourire mais très vite je reviens dans la course.

Arrive le Km12 qui va nous faire traverser le Rhin. C’est un des passages avec l’arrivée que nous sommes allés repérer la veille avec Théodore. Ça va monter. Mais je me dis qu’après toute montée, il y a une descente ! Juste avant le début de la montée, le van noir s’est porté à ma hauteur. Le conducteur passe la tête par la fenêtre avec un large sourire, lève le pouce et me dit Super ! puis repart rejoindre les coureuses élite.

Fin du Km13, je décide d’avancer la prise de gel. J’ai pour habitude de les prendre au Km15, Km25, Km35 et d’en garder un dernier pour la fin. Au Km14, je détache un gel de ma ceinture profitant d’un point d’eau afin de mieux l’assimiler.

De longues lignes droites et des virages, tel est mon souvenir de ce passage. Lors d’un virage à droite je tente de regarder s’il y a du monde derrière en tournant rapidement la tête. Personne à l’horizon. Très vite nous nous retrouvons de nouveau à proximité du pont qu’il faut franchir à nouveau.

Juste avant de commencer la montée du pont, je passe la marque du semi-marathon : 1h18m41s. Cela correspond à une allure de 3’44’’. Je suis dans le timing. J’ai toujours en vue le van noir au loin. C’est bon signe. Le vent souffle. Allez courage, après chaque montée, il y a une descente !

Km25. Je retrouve sur le bord de la route Aline, Guillaume et Théodore qui m’encouragent. Ça me fait du bien. Je me dis que la prochaine fois que je vois Guillaume, j’en aurai quasiment terminé. Guillaume doit me rejoindre au Km39 pour me tirer sur la fin.

Au Km27, nous traversons une voie ferrée par un petit pont. Rien de bien compliqué en soit, mais avec 27 kilomètres dans les jambes, le passage est un peu plus compliqué. Allez, courage, je sais qu’il y a un second passage de ce type un peu plus tard. Je rattrape un coureur, visiblement un pace ou un élite puisqu’il a un dossard derrière avec son nom : Théodoros. Il a l’air un peu à l’agonie. Je lui fais un signe pour qu’il se joigne à moi, mais décline. Je reste seul.

Km30, bonjour la compagnie ! Enfin du monde. Un coureur me rattrape. Je note qu’il a un débardeur vert. Tout de suite je me cale dans sa roue pour m’abriter du vent. Je le vois devant faire des signes aux orchestres, au gens sur le bord de la route. J’avoue être impressionné. Je reste le plus longtemps avec lui. Puis je décroche.

Quelques kilomètres plus tard, un autre coureur au t-shirt jaune revient sur moi. On doit être aux alentours du Km35 ou Km36. Impossible de l’accrocher. Je tente seulement de le maintenir à distance : 50 ou 60m maximum.

Le Km38. Je me rappelle de ce qu’a dit Théodore la veille lorsqu’avec Fanny, Aline et Guillaume nous regardions les meilleurs endroits pour nous voir en analysant nos allures respectives et en faisant un minimum de déplacement : c’est le point le plus au sud du marathon donc il vaut mieux que Guillaume te rejoigne au Km39. Ce sera plus simple.

Km39. Je vois au loin Guillaume qui se prépare. Allez, c’est la fin ! Il se positionne tout de suite à ma droite et me dit qu’en cas de besoin il a un gel ou de l’eau. Pour l’instant je n’ai besoin de rien. Je lui dis juste de se mettre sur ma gauche pour me protéger du vent, car j’ai l’impression qu’il vient de la gauche.

Les deux kilomètres qui suivent sont durs. Il s’agit d’une énième boucle, là-aussi repérée en partie la veille avec Théodore. Les souvenirs sont confus. Guillaume me parle. Il me dit Allez, on les gratte devant !

L’écart entre le coureur au débardeur vert et celui au t-shirt jaune se resserre. Regarde, on les rattrape ! Tu es plus fort qu’eux !

Km41. Le dernier kilomètre. Symbolisée par un énorme autocollant sur la chaussée, on y arrive. Je pense à ce que j’avais dit à Théodore la veille : Tu vois, si les mecs étaient bons, vu que Düsseldorf accueille le départ du Tour de France au mois de juillet au niveau du dernier kilomètre, il mettrait la flamme rouge du Tour en clin d’œil. Ça aurait de la gueule !

Nous dépassons nos deux adversaires du moment. Guillaume continue de m’encourager Allez, tire sur les bras, après le rond-point avec l’orchestre il ne reste que 800 mètres ! C’est quoi 800 mètres ?! Tu l’as fait des milliers de fois ! Allez, allez, allez pour Agathe !

Je passe au niveau de la Présidence du parlement du Land de Rhénanie-du-Nord/Westphalie. Le vent est fort. Une petite descente, un virage sur la droite et on est sur les quais. Plus que 400 mètres. Je tire sur les bras, comme sur la piste de Lenglen. Je repense à ce que m’a dit Théodore : Bon à l’arrivée, pense pas à arrêter ton chrono, tu passes la ligne à fond parce que toutes les photos d’arrivée, tu as la main sur la montre !

Ça y est, je passe la ligne avec un chrono de 2h41m34s ! *

C’est la délivrance. Pleins d’images me reviennent en tête. Les entrainements du midi à Lenglen avec DD et Anaïs, les conseils de Momo, les messages d’encouragements reçus de la part de tous les membres du XVème Athletic Club.  

J’ai mal, le chrono n’est pas au rendez-vous mais je me suis bien battu. Battu contre le vent, battu contre moi-même. J’ai bien travaillé. J’ai travaillé mon mental. Et ce jour-là, le mental devait être aussi fort que la condition physique.

 

* Je termine le marathon à la 22ème place au général, me classant 18ème chez les hommes et 8ème dans la catégorie M30.